Wednesday, May 4, 2011

Karim Bitar, chercheur à l’Iris, «Les pays de la région veulent la stabilité en Syrie»

Que se passe-t-il réellement en Syrie? Magazine a fait appel à Karim Emile Bitar, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) à Paris.

Croyez-vous que les Assad soient divisés sur la manière de gérer la crise actuelle en Syrie?
Le régime syrien est l’un des plus opaques au monde. Il est donc difficile de porter un jugement, mais il est vrai que généralement en temps de crise, les anciennes rivalités ont tendance à ressurgir. Dans un premier temps, la gestion des mouvements de protestation a suivi dans une certaine mesure les scénarios qu’on a vus en Tunisie et en Egypte, notamment avec une alternance des pratiques répressives et des promesses de libéralisation et de démocratisation. En janvier dernier, Ben Ali donnait son célèbre discours «Je vous ai compris», en promettant la démocratie. Le lendemain, ses hommes tiraient sur les manifestants désarmés. Mais par la suite, Bachar el-Assad semble avoir choisi la voie du durcissement et de l’intransigeance. Son discours était exempt de toute promesse et n’a pas donné le moindre gage aux réformateurs. Sans doute craignait-il qu’en lâchant un peu de lest, il ne provoque un appel d’air et encore plus de revendications populaires. Ayant vu chuter Ben Ali et Moubarak, il sait que dès que la chape de plomb s’étiole, tout le reste peut s’écrouler. Il a donc choisi de ne rien céder.
On dit souvent que ce n’est pas le président Bachar el-Assad qui gouverne mais sa famille. Cette dernière tenterait de combattre toute tentative de réforme. Qu’en pensez-vous?
Oui, tout à fait. Si Bachar el-Assad veut apaiser la colère populaire, sauver son régime et rester au pouvoir, il aura à prendre des mesures à l’égard de son propre clan. Il devra adopter des réformes radicales qui pourraient déplaire aux membres de sa famille et limoger des responsables de la sécurité qui lui sont apparentés. Et les réformes économiques pourraient avoir des répercussions sur les intérêts de ses cousins Makhlouf. Il n’aura donc probablement pas les moyens d’aller très loin dans les réformes. Plus qu’un homme, c’est un système qui est au pouvoir à Damas.


Quelle est votre analyse de la récente déclaration de Hillary Clinton, la secrétaire d’état américaine, selon laquelle la Syrie n’est pas la Libye…
En qualifiant Bachar el-Assad de «réformateur» et en déclarant que les Etats-Unis n’interviendraient pas en Syrie, Hillary Clinton a rappelé que la Realpolitik l’emportait à Washington sur toute autre considération. C’était également le cas sous l’Administration Bush qui, malgré son soutien prétendu à la démocratisation, n’a jamais suspendu son aide à l’Egypte, l’Arabie saoudite, la Tunisie ou le Yémen, ainsi qu’à bien d’autres régimes. Bill Clinton avait lui aussi admis ceci, en 1994, en déclarant: «Nous faisons fi de tous les principes que nous prétendons défendre». Les Etats-Unis continueront donc de soutenir les régimes autoritaires tant qu’ils sont en harmonie avec les intérêts géostratégiques des Etats-Unis. Ils soutiendront également des régimes comme ceux de la Syrie s’ils estiment qu’ils constituent un moindre mal. Cette attitude changerait uniquement dans le cas où l’équilibre des forces sur le terrain serait modifié. Lorsque la personne au pouvoir ou «l’homme fort» devient tellement impopulaire qu’il se transforme en fardeau comme cela s’est passé en Egypte, les Etats-Unis commencent alors à reconnaître les aspirations à la démocratie et les droits de l’Homme avant de se lancer à la recherche d’un nouvel «homme fort» qui leur permettrait de maintenir les orientations stratégiques essentielles sans trop s’aliéner les populations. Pour comprendre l’avis de Clinton sur la Syrie, il est aussi très important de garder à l’esprit les pressions exercées par Israël, la Jordanie et l’Arabie saoudite sur les Etats-Unis dans le but de maintenir le statu quo au Moyen-Orient. Malgré leurs différences avec les dirigeants syriens, la plupart, sinon la totalité des pays de la région tiennent à préserver la stabilité du régime syrien. Propos recueillis par Mona Alami ( Magazine, Mars)

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