Friday, February 4, 2011

Pas de Mohammad Bouazizi pour le Liban…


Début janvier, Mohammad Bouazizi, universitaire de 26 ans, s’immole pour protester contre les conditions de vie extrêmement difficiles en Tunisie. Au Moyen-Orient, des dizaines d’autres contestataires ont répété l’acte désespéré de Bouazizi, afin d’exprimer leur ras-le-bol face à des pouvoirs corrompus et de plus en plus déconnectés des masses. Mais qu’en est-il du Liban?

«Mohammad Bouazizi n’aurait jamais pu naître citoyen libanais», relève avec cynisme le Dr Talal Atrissi, sociologue et politologue à l’Université libanaise. En quelques jours, le jeune chômeur est devenu le symbole de la Révolution du Jasmin qui provoque le renversement de la dictature du président Zineddine Ben Ali.
«Confrontés à une telle immolation publique, les Libanais réagiraient en se demandant à quelle communauté appartenait le suicidé, et tenterait de justifier son acte désespéré en lui trouvant une explication sectaire». La mobilisation collective engage un cheminement individuel, qui va au-delà des clivages sectaires, donc inapplicable à la réalité libanaise.
La Tunisie est en feu, la mort de Bouazizi, suscite des manifestations violentes contre le régime, se propage avec rapidité de la ville natale du jeune homme, de Sidi Bouzid, vers d’autres villes. La répression policière tente en vain d’éradiquer la rébellion et fait des dizaines de morts. Mais en moins d’un mois, les révolutionnaires tunisiens parviennent à réaliser l’impossible en mettant fin à la dictature du président Ben Ali qui a duré trente ans.

A l’école de Bouazizi
Les masses arabes et africaines semblent avoir été fortement inspirées par le dernier message du jeune vendeur affiché sur Facebook et scandé par des millions de personnes. «Je pars en voyage ma mère, pardonnez-moi. Les reproches sont inutiles. Je m’en vais et ne reviendrai pas ... Les reproches sont inutiles dans ce pays où règne la trahison. Je suis malade et ne suis pas moi-même».
L’acte de Bouazizi a essentiellement trouvé un écho dans les pays partageant certaines similitudes, estime le Dr Atrissi. «Ces pays sont généralement en proie à une corruption rampante, perpétrée par l’élite au pouvoir. Ils souffrent souvent d’une grande pauvreté et d’un taux de chômage élevé. Ces dictatures laissent à leurs citoyens très peu de liberté», relève-t-il. Autre caractéristique contribuant à la formation de mouvements révolutionnaires, l’homogénéité de la société, vecteur essentiel permettant aux citoyens d’éprouver de l’empathie envers d’autres «Bouazizi» auxquels ils s’identifient.

Pourquoi le Liban y échappe-t-il?
«Le phénomène Bouazizi ne pourrait jamais rassembler les Libanais. La hiérarchie politique du pays du Cèdre repose essentiellement sur un partage du pouvoir entre plusieurs communautés, généralement gouvernées par de puissants leaders féodaux», souligne Hilal Khachan, professeur de sciences politiques à l’Université américaine de Beyrouth. «La société libanaise est trop hétérogène. Il y existe des failles profondes tracées par les diverses communautés religieuses», ajoute-t-il.
Les événements de 2005, qui ont suivi l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri, confirment cette malheureuse réalité. Le mouvement de protestation qui en découle met en exergue les limites du système libanais, le soulèvement populaire contre la domination syrienne se transformant rapidement en une profonde rivalité sectaire.

Mais à l’exception du Liban, le phénomène Bouazizi fait tache d’huile au Moyen-Orient. Les Egyptiens et les Mauritaniens sont victimes de contagion. En ce moment même, des mouvements de masse ont lieu en Egypte, contre le président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis trente ans. «Ce n’est que le début d’une vague contestataire beaucoup plus large qui va déferler sur les pays arabes et africains. Ce phénomène prendra cependant un certain temps avant de se concrétiser», avance Khachan.

L’effondrement inattendu de la dictature tunisienne et la menace qui pèse en ce moment même sur le régime égyptien vont engendrer de plus en plus d’appels au changement politique. En Egypte, les confrontations entre les militants et la police se sont soldées par plus d’une centaine de morts. «La situation différera d’un pays à l’autre selon le degré de liberté dont jouissent les nationaux et le soutien qu’apporte la communauté internationale à leurs dirigeants», explique Atrissi.

Au Liban, les manifestations contre la cherté de vie, l’inflation et l’augmentation des prix des denrées alimentaires n’aboutissent que très rarement, en raison de leur manipulation par les diverses factions politiques. Une réalité qui a souvent empêché la formation et la propagation d’une réelle contestation à travers l’ensemble des communautés.

Un autre obstacle à la formation de ces mouvements au pays du Cèdre réside dans sa structure politique, le Liban étant une des rares démocraties – il est vrai quelque peu boiteuse – de la région. Ses citoyens jouissent également d’une plus grande liberté d’expression.

La Syrie et la Jordanie protégées
Les autres pays du Levant, à l’instar de la Syrie et de la Jordanie, semblent, pour le moment, être à l’abri d’un danger de sédition. «La Syrie est gouvernée par une minorité religieuse qui ne renoncera pas facilement à ses privilèges sans se livrer à une âpre bataille, à la différence du clan Ben Ali», assure le professeur Khachan. «Ce même scénario a peu de chance de se répéter en Jordanie où les rivalités internes entre citoyens trans-jordaniens et palestiniens-jordaniens sont profondes», ajoute-t-il. Lors des récentes démonstrations, organisées par des mouvements d’opposition dans le royaume hachémite, les protestataires se sont attaqués au gouvernement du Premier ministre Samir el-Rifaï, en évitant soigneusement toute critique du roi Abdallah II. Le gouvernement jordanien a, par ailleurs, répondu en annonçant un plan d’aide de 169 millions de dollars destinés à la population, à la création d’emplois et au financement du prix de certaines matières premières.
Pour Nizar Andary, professeur de filmographie et de littérature à l’université Zayed d’Abou Dhabi, les Libanais devraient commencer par se révolter contre leurs maires, les membres de leur municipalité, leurs patriarches, leurs députés et chefs de clan, «avant de s’unir en un seul front contre l’élite au pouvoir»... Mona Alami pour Magazine

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