Monday, December 13, 2010

Sécheresse et sécurité alimentaire : baisse de la production agricole de 25%

En 2008, un rapport de FAO prévenant que l’agriculture au Proche-Orient allait «pâtir de la hausse des températures» avait tiré la sonnette d’alarme. En cette fin d’année 2010, ces pronostics apocalyptiques semblent déjà se confirmer au Liban. Sécheresses, inondations et dégradation des sols menaceraient la sécurité alimentaire de nombreux pays au Moyen-Orient dont le pays du Cèdre.


«Le baromètre a enregistré cet été des pics de 47 degrés dans la plaine de la Békaa. C’est du jamais vu», déclare Imad Bsat, ingénieur agronome et propriétaire de B-Fresh Produce. Selon l’agriculteur, l’augmentation de la température aurait dépassé de loin les prédictions d’un réchauffement climatique de 3 degrés Celsius prévu sur 100 ans, puisque cette année déjà, il aurait dépassé de sept degrés les normales habituelles.
L’écologiste Waël Hmaydan, directeur de l’ONG IndyAct, observe une croissance de la fréquence des jours très secs et des vagues de chaleur. Les fluctuations des températures et de la proportion des précipitations ne font qu’aggraver la situation. «De plus et cela contrairement aux années précédentes, des incendies ont ravagé le Liban en plein mois de février, ce qui est un phénomène sans précédent et très préoccupant», ajoute Hmaydan.
Les témoignages des experts concordent tous: en raison des fortes chaleurs, un recul du rendement agricole dans les diverses régions libanaises est évident, il en résulterait une baisse de la production de 20 à 25 pour cent. «Les arbres se sont desséchés, et les fruits ont très souvent pourri sur les branches. La tendance pourrait avoir été exacerbée sur les côtes libanaises qui ont subi des vagues de chaleur intenses. De plus sur le littoral, de nombreux arbres fruitiers ont entamé un deuxième cycle de floraison ces deux derniers mois, en raison de la douceur du climat. Ce qui pourrait faire encore perdre aux agriculteurs autour de 5% de leur prochain rendement», dixit Bsat.

Désertification du paysage
Abou Tarek travaille la terre depuis plus de 50 ans dans la région de la Békaa. Ce robuste sexagénaire se dit préoccupé par le changement climatique, doublé d’une désertification du paysage libanais. «Il se manifeste par des écarts de températures de plus en plus importants, avec des chaleurs intenses observées durant la journée et des pics de froid au-dessous de zéro durant la nuit», se plaint-il. Pour Bsat, cette situation est d’autant plus alarmante que les journées humides et nuageuses se font de plus en plus rares. «Les baisses de températures sont également vitales pour le processus de bourgeonnement, un certain nombre d’heures dites fraîches lui étant nécessaires», ajoute-t-il.
Les conditions météorologiques extrêmes vont aussi entraîner des modifications au niveau des écosystèmes ainsi que l’apparition de nouvelles maladies et de races d’insectes exotiques. «Certains ravageurs récemment introduits au Liban détruisent les plantes et affectent notre rendement», souligne Abou Tarek. En effet cette année, des insectes qui se cantonnaient par le passé uniquement à certains arbres fruitiers comme les pêchers et les abricotiers s’attaquent maintenant à d’autres comme les pommiers. «Ce comportement est totalement inhabituel, je n’ai jamais vu cela durant mes 20 ans de carrière», confirme Bsat.

Pénurie d’eau
L’agriculteur se dit toutefois préoccupé non pas seulement par le changement climatique mais aussi par la pénurie en eau. Une opinion partagée par Abou Tarek qui constate que dans la partie orientale de la vallée de la Békaa, il est de plus en plus nécessaire d’irriguer certaines jeunes pousses, un procédé relativement neuf dans la région. «L’évolution des conditions météorologiques peut, à long terme, être gérée par une substitution de certaines cultures à d’autres plus appropriées, mais le manque d’eau est par contre plus grave», insiste Bsat.
Avec des périodes de sécheresse qui sont de plus en plus fréquentes, la pénurie en eau contraint les agriculteurs à la rationner pendant les périodes de grosse chaleur. Selon Bsat, l’irrigation des cultures qui se pratiquait traditionnellement jusqu’au mois de septembre a dû se poursuivre cette année durant la canicule de novembre.
«Une utilisation plus efficace des ressources comme l’eau (voir notre article page 37) et l’énergie, une agriculture durable, une meilleure gestion forestière et la plantation d’arbres sont des mesures fondamentales pour atténuer les effets du changement climatique», a conseillé Hmaydan. Ses recommandations semblent de plus en plus pressantes. «Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord sont tout particulièrement exposés aux pénuries d’eau. Une hausse de température de 3° C pourrait entraîner un stress hydrique pour 155 à 600 millions de personnes de plus en Afrique du Nord», estime la FAO.
«Une conservation des eaux plus adéquate est donc devenue impérative», conclut Hmaydan. Ces paroles semblent trouver un écho partout dans la région. En marge de la conférence organisée en février dernier en Jordanie sur «la sécurité alimentaire et le changement climatique dans les régions arides», Theib Y. Oweis, directeur du programme sur la gestion de l’eau et de la terre au Centre international pour la recherche agricole dans les régions arides, avait affirmé que l’eau avait aujourd’hui plus de valeur que le pétrole. Mona Alami pour Magazine

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